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L'expertise en psychologie judiciaire : quels enjeux pour demain ?


Les dysfonctionnements survenus au cours des dernières décennies ont mis en lumière la complexité de l'expertise psychologique. Mal distinguée de l'expertise psychiatrique, elle fait appel à des professionnels certes aguerris dans cette discipline, mais peu ou mal formés à son volet judiciaire, remettant de fait en cause la question de la formation et du recrutement de ces experts. De plus en plus est apparue la nécessité d'une réévaluation complète du mode de recrutement dans cette spécialité. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Ce que dit la loi

Prévue par les articles 156 à 169-1 du Code de Procédure Pénale, l'expertise judiciaire est une "mesure d’investigation technique ou scientifique qu’un juge confie à un“homme de l’art”, professionnel reconnu pour son expérience, sa compétence et son autorité dans le domaine requis par la question de fait qui se pose à la juridiction saisie".


Le plus souvent le magistrat, Procureur de la République ou Juge d'Instruction, fait appel à un(e) expert(e) inscrit(e) sur la liste des experts près la Cour d'Appel de son ressort. Cette liste est établie sur la base du Décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004, récemment modifié par le Décret n°2023-468 du 16 janvier 2023.


Jusqu'alors, les différentes branches professionnelles étaient répertoriées dans le Décret du 23 décembre 2004 - Arrêtés du 10 juin 2005 et du 12 mai 2006 .

Article 1 - Les listes d’experts prévues à l’article 1 du décret du 23 décembre 2004 susvisé sont dressées par les cours d’appel...... conformément à la nomenclature suivante, qui se divise en

  • Branches (ex. :A-AGRICULTURE - AGRO-ALIMENTAIRE - ANIMAUX - FORETS )

  • Rubriques (ex.: A-01 Agriculture)

  • Spécialités (ex. :A-01.01 Améliorations foncières )".

Tout ce qui concernait l'expertise psychologique figurait ainsi :

  • F-SANTE

  • F-07 Psychologie

  • F-07.01 Psychologie de l'adulte

  • F-07.02 Psychologie de l'enfant

Une rubrique supplémentaire figurait un peu plus loin, intitulée "Profilage" :

  • G-MEDECINE LEGALE - CRIMINALISTIQUE ET SCIENCES CRIMINELLES

  • G-01 Domaine médico-judiciaire spécialisé

  • G-01.09 Profilage

La psychiatrie, quant à elle, figurait en rubrique F-02 - F02.01. Psychiatrie d'adultes - F02.02. Pédopsychiatrie.


L'ancienne rubrique F-07 psychologie

Elle exigeait du candidat qu'il soit titulaire d'un diplôme supérieur de psychologie, mais sans aucune référence particulière relative à la qualité judiciaire de cette rubrique.

Au fil des ans, cette particularité a engendré quantité de problématiques exposées dans de nombreuses publications, dont :


Il ressort qu’à l’heure actuelle, selon interprétation de ma part tant le sujet est complexe, que la différenciation entre pratique clinique de cette discipline et pratique expertale n’est pas clairement établie, et que même l’articulation entre examen psychiatrique et examen psychologique est confondue dans une expression hybride intitulée « médicopsychologique » (Article J.L VIAUX page 3/8).

Or les textes que j’ai pu consulter : code de procédure pénale, ceux issus de la loi de 1998 sur les soins aux agresseurs et toutes les suivantes n’expliquent pas le rôle des experts psychologues, qui ne sont d’ailleurs jamais nommés comme tels. Il semblerait que dans les faits, les questions judiciaires se sont progressivement orientées vers ce que M. VIAUX appelle « une tentation de subversion clinique », qui n’interroge plus que sur la psychocriminologie pour déterminer la dangerosité d’une personne, son état de santé mentale et les risques de récidive qu’elle présente".


En ce sens, le rapport sénatorial précise (page 59) : « Le nombre et la diversité des questions posées aux experts présentent, aux yeux des rapporteurs, le risque de détourner l’expertise pré sentencielle de sa finalité initiale : la détermination du discernement du commettant au moment de l’acte ». Puis, page 72 : « Les rapporteurs seraient ainsi tentés d’avancer, à l’instar de l’expertise pré sentencielle, que l’attribution d’une mission prédictive de récidive à un professionnel de santé chargé de la détection des pathologies psychiatriques, se justifie difficilement ».


De ces éléments naît une seule alternative : au cours d’une mission d’expertise type, l’expert s’entretient avec le sujet et son rapport est, selon M. VIAUX page 7 :

  • Soit « la restitution d’un travail avec le sujet (et lui seul), à la fois sur son parcours personnel et son fonctionnement psychique », ceci afin de conclure par ce qui conduira à la « réparation »,

  • Soit « la sanction », c’est-à-dire « faire de la vérité du sujet une « vérité absolue », ce qui est la négation même de la clinique »


Or les psychologues, psychologues cliniciens et psychiatres ont pour vocation première de soigner les pathologies mentales. Beaucoup d’entre eux refusent de présenter leur candidature à une inscription sur les listes d’experts et les faibles rémunérations n’en sont pas la seule cause. Pour eux, les limites de leurs interventions, les cadres référentiels ne sont pas clairement établis, ce qui les empêche de les intégrer dans le contexte extrêmement strict de leur éthique professionnelle.


La nouvelle nomenclature

Les dysfonctionnements générés par cette situation et récemment révélés (ex. la tristement célèbre affaire dite d'Outreau) ont placé au premier plan les préoccupations liées à ce sujet et la nécessité de le repenser dans sa globalité.


En ce sens, le rapport sénatorial précédemment cité conclut, page 7 : « Arrivé au terme de ses travaux, le groupe de travail a acquis la certitude que la question de l’expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale ne pouvait plus faire l’économie d’une réforme dédiée. Jusqu’à présent traité de façon incidente, au gré des grandes lois pénales par lesquelles les gouvernements successifs ont souhaité imprimer leur marque à notre appareil répressif, l’expert judiciaire souffre aujourd’hui de n’avoir jamais été considéré en tant que tel ».


Dans la liste des propositions figure en N°2 (page 9) : « Mettre en place, au niveau national, une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d’études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie ».



"La réforme ici proposée porte sur la distinction qui présidait jusqu’alors entre l’« expertise psychiatrique » et l’« expertise psychologique », abordant de fait la question de la formation et du recrutement des experts".

Or un peu plus loin, il est précisé que le nombre des experts psychiatres inscrits sur une liste de Cour d'Appel est en très nette chute, du fait notamment de la diminution du nombre de psychiatres en formation depuis 1983, "ce qui va réduire de façon très importante cet effectif professionnel dans les années à venir par le biais des cessations d’activité liées à l’âge".


Parallèlement, le nombre d'experts psychologues est en très nette augmentation. Mais qu'ils soient psychiatres ou psychologues, dans l’immense majorité des cas, ils n'ont pas reçu, au cours de leur cursus universitaire ou de leur formation continue, une connaissance suffisante des auteurs d'infractions, des victimes, ni de l'expertise judiciaire.


Tous les auteurs et chercheurs se rejoignent désormais pour souligner l'impérieuse nécessité d'améliorer les cursus en les adaptant à la particularité de l'expertise psychologique judiciaire.


Or un Arrêté du 05 décembre 2022 établissant une nouvelle nomenclature des experts de justice applicable à compter du 1er janvier 2024, prévoit les rubriques suivantes, plus particulièrement relatives à l'expertise psychologique :

  • F-SANTE

  • F-07Psychologie

  • F-07.01 Psychologie de l'adulte

  • F-07.02 Psychologie de l'enfant

  • F-07.03 Neuropsychologie

Ce qui reprend donc l'intégralité des précédentes rubriques, en ajoutant simplement une spécialité "neuropsychologique". On pourrait donc se dire, selon le proverbe consacré « Ce qui fut sera, Ce qui s’est fait se refera, Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil. »

Sauf qu'en parcourant un peu plus loin cette nouvelle liste, on relève l'ajout suivant :

  • G-CRIMINALISTIQUE - SCIENCES CRIMINELLES MEDICO-LEGALES

  • G-06 Psychologie légale

  • G-06-01 Victimologie - Évaluation des conséquences psychiques et/ou du préjudice psychologique

  • G-06-02 Psychocriminologie - Évaluation du risque de récidive et de la dangerosité

Donc par rapport à l'ancienne rubrique "G- MEDECINE LEGALE - CRIMINALISTIQUE ET SCIENCES CRIMINELLES" citée en début de cet article, qui s'arrêtait à G-03 Armes Munitions Balistique, on s'aperçoit que le législateur a retiré la mention "MEDECINE LEGALE" et lui a substitué celle de "MEDICO-LEGALE" en l'associant à "SCIENCES CRIMINELLES".


Puis il a ajouté "légale" au mot "Psychologie", en détaillant les missions "Victimologie" et "Psychocriminologie".

De fait, le psychologue de la rubrique F7 retrouverait son rôle dans le cadre de l'évaluation psychologique globale de la personne et la détermination de son discernement au moment de l'acte et le psychocriminologue son rôle d'évaluateur tel que défini dans cette nouvelle rubrique G-06.

Il faut bien admettre que la frontière est fragile, à tel point qu'une nouvelle question fondamentale se pose : ce métier n'existe pas en France en tant que tel à l'heure actuelle : sur quelles bases ces nouveaux experts seront-ils recrutés ?

Mais qu'est donc devenue l'ancienne rubrique G-02-09 "Profilage" ?

Elle a tout simplement disparu... En matière criminelle, on peut tenter de définir le profilage comme étant une méthode permettant de dresser le profil d'un individu (auteur ou victime) après la commission de l'infraction et en fonction des éléments mis en évidence lors de l'analyse de la scène de crime.


Cette rubrique, qui existait depuis la publication du décret de 2004, n'a dans les faits jamais été occupée.

J'ai eu l'occasion d'interroger un haut magistrat de la Cour d'Appel de Rennes à ce sujet. Il m'a répondu que ce terme, galvaudé par la diffusion de séries, notamment américaines mais également françaises, ne pouvait plus être utilisé en tant que tel dans un cadre judiciaire.


Cependant, l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) a créé, il y a quelques années, un Département des Sciences du Comportement, devenu opérationnel et auquel il est désormais régulièrement fait appel.

En conclusion, nos dirigeants, alertés par les magistrats, les professionnels de la médecine mentale et les institutionnels ont pris acte des dysfonctionnements générés par les différentes ambigüités mises en évidence tout au long de cet article et très mal vécues / ressenties par les justiciables de notre pays.

Encore faudra-t-il désormais s'attacher à ce que les cursus et formations ad-hoc soient mises en place pour que le métier de psychocriminologue figure enfin dans un référentiel officiel, avec des contours nettement définis.

Et enfin, le postulant à une inscription devra tenir compte du fait qu'un 9° a été ajouté à l'article 2 du Décret n°2023-468 du 16 juin 2023 déjà cité, à savoir : "9° Pour les candidats à l'inscription sur une liste dressée par une cour d'appel, justifier d'une formation à l'expertise. »


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